Mise en contexte

En ce qui concerne les droits des femmes, la Tunisie est considérée comme l’un des pays les plus progressistes du monde arabe. Depuis 1956, l’égalité entre les hommes et les femmes est inscrite dans la loi par le biais du Code du statut personnel. Dans la pratique, cependant, des normes culturelles persistent, qui limitent les interactions entre les hommes et les femmes, restreignent la présence des femmes dans certains espaces publics et privés, et réduisent les opportunités économiques des femmes.

Les municipalités en Tunisie sont bien placées pour promouvoir l’égalité hommes-femmes par l’entremise des services qu’elles fournissent. Il existe une quasi-parité au sein des conseils municipaux au niveau national, ce qui devrait faciliter la prise en compte des besoins des femmes dans les processus de planification. De nombreuses conseillères sont actives au sein de commissions municipales, mais il s’agit souvent de commissions dotées de petits budgets et axés sur les questions sociales ou féminines, et dont l’influence est donc limitée. Le Programme pour un leadership municipal inclusif (PLMI) a aidé huit municipalités partenaires et les femmes leaders à mettre en pratique l’égalité des sexes en concevant des services qui répondent aux besoins spécifiques des femmes et des autres groupes marginalisés de la communauté.

Une conception particulière

L’équipe du PLMI a commencé par présenter, en discuter et définir une compréhension commune du concept de genre parmi les administrations locales partenaires. Tous les acteurs étant sur la même longueur d’onde, ils ont commencé à introduire l’égalité entre les femmes et les hommes dans divers aspects de la gestion locale. Les municipalités ont reçu des conseils sur la tenue des consultations publiques et sur la manière dont les services peuvent être conçus pour répondre aux besoins spécifiques de différents groupes, notamment les femmes.

Chacune des huit municipalités partenaires a eu l’opportunité de concevoir et de mettre en œuvre un projet sexospécifique qui serait partiellement financé par le projet. Les élues membres des commissions municipales, telles que la « Commission des femmes et de la famille » et la « Commission de l’égalité et de l’égalité des chances », se sont vu attribuer des rôles pour faire avancer l’initiative.

Elles ont toutes suivi un processus participatif pour définir leur projet respectif :

  1. Lancer un processus local de réflexion pour identifier trois projets éventuels qui répondent spécifiquement aux besoins des femmes.
  2. Organiser un atelier impliquant plusieurs parties prenantes pour présenter les trois options et en débattre.
  3. Organiser un comité de sélection composé de parties prenantes nationales pour sélectionner et affiner le projet.
  4. Une fois le projet sélectionné, élaborer un plan détaillé avec le soutien d’experts techniques.
  5. Mettre en œuvre le projet sélectionné pour améliorer ou développer un service sexospécifique.

À différentes étapes du processus, les partenaires municipaux canadiens ont été invités à partager leurs expériences sur l’intégration des sexes dans la planification, la consultation et la conception des projets et des services. Cela a permis à chacun des partenaires locaux d’identifier plusieurs services qui pourraient mieux répondre aux besoins sexospécifiques. Par la suite, les municipalités ont alloué des fonds de leur propre budget pour améliorer divers services, en plus des huit projets financés par le PLMI.

Joan Westland, ancienne maire de Bolton-Est, au Québec, sait qu’être inclusif exige une réflexion constante et une action délibérée. Sa municipalité organise régulièrement des consultations publiques et invite les groupes locaux à présenter des projets qui peuvent être intégrés dans le processus budgétaire municipal.

Afin de favoriser l’inclusivité à toutes les étapes, de la conception à la mise en œuvre du projet, Mme Westland pose régulièrement ces questions clés :

« Où se déroulent vos réunions ? Comment les gens se rendent-ils à vos réunions ? Si j’ai un handicap, puis-je me rendre à vos réunions ? Si je peux me rendre à votre réunion, puis-je accéder à la salle de réunion ? Si je peux accéder à la salle, ai-je accès aux documents que vous présentez ? Et ainsi de suite, jusqu’à la simplicité du langage utilisé pour rédiger l’information : Est-ce que je peux la comprendre ? Dire tout simplement que nous sommes inclusifs parce que nous avons invité tout le monde n’est pas ce que signifie l’inclusion. »

Des solutions simples

L’équipe du PLMI a travaillé avec les partenaires locaux de Tunisie pour réfléchir à la façon différente dont les femmes et les hommes perçoivent les services. Dans la municipalité de Menzel Abderrahman, par exemple, le travail de réflexion a révélé que le bâtiment municipal ne disposait pas de toilettes adéquates. Le personnel masculin pouvait utiliser les installations des cafés voisins. Les femmes, cependant, n’étaient pas autorisées à entrer dans les cafés et devaient attendre la pause de midi pour rentrer chez elles. Grâce à une contribution équivalente du PLMI, la municipalité a installé des toilettes appropriées pour les femmes et les hommes, qui peuvent être utilisées aussi bien par le personnel que par les élus et le public accédant au bâtiment.

Senim Ben Abdallah, expert chargé de la coordination, apprécie la recherche de réponses simples.

« Parfois, une petite somme d’argent suffit pour résoudre les problèmes. Ce projet a amélioré les conditions de travail des femmes et des hommes de la municipalité, tout en rendant le bâtiment plus accueillant pour les citoyens et les citoyennes. »

Daniel Champagne, conseiller municipal à la ville de Gatineau, au Québec, avait un message similaire. Réfléchissant au processus dans sa propre municipalité, il a expliqué que l’intégration du principe d’égalité des sexes n’a pas besoin d’être compliquée. De simples améliorations de l’aménagement, comme un éclairage suffisant ou des moyens de transport sûrs, peuvent faire une grande différence dans l’expérience et le sentiment de sécurité des femmes.

« Lorsqu’on ajoute cet angle à la réflexion, on voit comment on peut améliorer la qualité de vie et les conditions des femmes par des gestes simples mais concrets. »

S’activer

La même municipalité de Menzel Abderrahman a ensuite conçu un projet sexospécifique pour améliorer l’accès des femmes aux activités sportives. Grâce au processus de consultation, la municipalité a constaté qu’il existait une forte demande pour un espace réservé aux femmes où elles puissent faire du sport et de l’exercice. Dans la communauté, le stade Hmaied El Moujahed est exclusivement dédié au football masculin, si bien que les femmes et les enfants sont sans endroit pour pratiquer du sport.

La municipalité a décidé de transformer un espace situé sous les gradins du stade en une salle de gym pour femmes. L’espace a été rénové et sera équipé pour que les femmes puissent faire de l’exercice physique et comprendra également un espace réservé aux services de garde pour les enfants de ces femmes. Un autre objectif à long terme consiste à développer une équipe de football féminine. La municipalité a déjà trouvé des partenaires, comme la Irish Soccer Federation qui formeront les femmes et les filles.

L’équipe du PLMI observe que puisque le projet promeut le sport pour toutes et tous – le sport pour les femmes – on peut s’attendent à ce que dans quelques années, on verra une équipe de football féminine. Ceci serait une conséquence de l’acceptation croissante de la présence de femmes dans le stade, un espace jusqu’ici réservé aux hommes.

Un lieu de détente

À Sidi Bourouis, il n’existe pas d’espace public mixte où les femmes et les hommes sont tous deux admis. Traditionnellement, les cafés sont des espaces masculins où la présence des femmes est très limitée. Au cours de la réflexion locale visant à développer une initiative sexospécifique, plusieurs idées de projet ont été proposées, mais leur portée était trop importante et elles n’ont pas été jugées réalisables. La mairesse adjointe a ensuite fait une proposition basée sur sa propre expérience en tant que femme dans la communauté. Elle a perçu le besoin d’un espace mixte où les femmes pourraient prendre un café, lire, se détendre et passer du temps avec leur famille. Les parties prenantes ont soutenu l’idée, et la municipalité a conçu un projet visant à rénover un parc municipal et à créer un espace mixte familial et culturel.

La municipalité a sollicité l’avis des femmes de la communauté par différents moyens – médias sociaux, sondage porte à porte, groupe de discussion et réunion multipartite – afin de contribuer à la conception. Il a été décidé que l’espace serait un parc public inclusif et ouvert à tous les âges, sexes et publics, et qu’un accent particulier serait mis sur les femmes et les enfants. Il y aurait un café, des toilettes appropriées, une aire de jeux pour les enfants, un espace pour les événements et un jardin. Ce serait un espace dont les femmes, les hommes et les enfants pourraient profiter tous ensemble. Le parc a été officiellement ouvert et est en service. Les conseillères municipales continuent de plaider pour la poursuite de son développement et l’ont inclus dans le Plan annuel d’investissement (PAI) de la municipalité. Elles ont également passé des accords avec une association locale pour organiser des événements culturels dans le parc et recherchent des sponsors pour y installer une piscine.

La possibilité de travailler

Une fillette accroche son sac sur un crochet à la garderieDans la municipalité de Nabeul, la réhabilitation du jardin d’enfants municipal Habib Karma a rapidement été identifiée comme une priorité. L’espace lui-même, avec ses problèmes d’électricité, de toilettes et de toiture, n’était plus un espace sûr pour les enfants.

L’ensemble du projet était bien plus important que la contribution financière offerte par le PLMI. La municipalité a pu mobiliser des aides financières et en nature provenant de diverses sources, grâce à l’intérêt des membres de la communauté, dont beaucoup avaient fréquenté l’école maternelle dans leur enfance. Des citoyens se sont portés volontaires pour participer aux réparations et ont fait des dons anonymes. Le secteur privé et les organisations de la société civile ont chacun apporté leur contribution. Le Rotary Club local a contribué à l’installation de nouvelles toilettes et à l’équipement de la cuisine.

L’école maternelle réhabilitée répond désormais aux besoins des femmes et des enfants de la communauté, en offrant un espace sûr et amusant pour les enfants et un enseignement de meilleure qualité. Elle offre un niveau de service comparable à celui d’un centre privé, mais à un prix modique pour les parents à faibles revenus, surtout les femmes. L’école est également ouverte en dehors des heures de bureau habituelles afin de s’adapter aux différents horaires de travail des femmes.

Mme Westland, au cours de ses décennies en tant que mairesse, a assisté au développement participatif d’un parc municipal inclusif à Bolton-Est, au Québec. Grâce à la consultation et à la mobilisation des membres de la communauté, l’espace est devenu un lieu de rassemblement multifonctionnel et accessible pour tous les membres de la communauté, avec des aires de jeux, des terrains de sport, une aire de pique-nique et un espace événementiel. Et c’est grâce au travail de bénévoles engagés qu’il est devenu le lieu dynamique que l’on connaît aujourd’hui. Le réseau de bénévoles s’est transformé en une organisation à but non lucratif qui dirige une variété d’activités communautaires, telles que les marchés publics, un bistrot et un projet d’agriculture coopérative.

« L’infrastructure bénévole de notre municipalité a été la clé du développement durable de ce dernier. Depuis, des gens se sont même installés dans la communauté justement parce qu’ils voulaient faire partie du processus. J’ai partagé [avec les partenaires tunisiens] la manière d’impliquer la population afin d’avoir une vision et une réalité du développement durable dans la communauté. »

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